Trois pistes pour atteindre la neutralité carbone en 2050

En partenariat avec Usbeck & Rica

2050. C’est, depuis la loi de transition énergétique adoptée en 2018, l’horizon fixé par la France pour atteindre la neutralité carbone. La part des énergies renouvelables doit inévitablement augmenter d’ici le milieu du siècle si l’on veut avoir une chance d’atteindre cet objectif. Pour tourner la page de la civilisation des énergies fossiles, une modération de la demande énergétique, un bouleversement des usages, une refonte de notre système économique et un investissement massif dans les énergies renouvelables sont donc nécessaires.

Ce grand mouvement devra naturellement inclure les pouvoirs publics, mais également les entreprises et les utilisateurs finaux. Afin d’imaginer à quoi pourrait ressembler une feuille de route réaliste pour atteindre cet objectif, voici trois pistes qui pourraient nous permettre d’atteindre la neutralité d’ici 2050.

Piste numéro 1 : l’électrification massive des usages

Augmenter la part de l’électricité dans le mix énergétique est l’une des conditions pour atteindre la neutralité carbone. Contrairement aux énergies fossiles comme le gaz et le pétrole, l’électricité a en effet pour avantage d’être très peu émettrice de gaz à effet de serre. Il est en effet possible de générer de l’électricité en émettant très peu de CO2, notamment à l’aide du nucléaire ou des énergies renouvelables. Mais l’électricité peut aussi être fortement carbonée, par exemple lorsqu’elle est générée par des centrales à charbon. C’est naturellement la première option qu’il faut privilégier.

Je ne connais pas de scénario visant la neutralité qui n’implique pas une accélération de l’électrification des usages, notamment dans certains secteurs clefs. En Europe, nous avons une forte dépendance aux énergies fossiles, concentrée sur un certain nombre d’usages : les transports, notamment (un tiers des émissions de gaz à effet de serre en France), mais aussi l’industrie et le logement, note Christian de Perthuis, professeur d’économie à l’Université Paris Dauphine et auteur de Climats : 30 mots pour comprendre et agir (De Boeck Supérieur, 2022).

Le travail à effectuer en la matière est non négligeable. En effet, aujourd’hui, l’électricité compte pour seulement 20% de l’énergie finale consommée dans le monde, note Veronica Bermudez Benito, directrice de recherche à l’Energy Center du Qatar Environment and Energy Research Institute (QEERIT). Il faut donc électrifier tout ce qui peut l’être, et générer autant d’électricité que possible à l’aide du renouvelable. Électrifier notre mix énergétique implique, par exemple, de remplacer les voitures à essence par des voitures électriques, ou encore les chaudières au gaz par du chauffage électrique. Encore faut-il pouvoir produire suffisamment d’électricité propre pour répondre à ces changements dans les habitudes de consommation. Et là encore, la chose n’est pas simple.

Si nous voulons atteindre zéro émissions nettes d’ici 2050, il nous faut par exemple une capacité installée d’environ 70 térawatt-heures dans le monde à l’aide du photovoltaïque d’ici-là. Pour l’heure, nous ne sommes qu’à un térawatt-heure. Il nous faut donc installer massivement des panneaux solaires, dans des proportions qui dépassent largement nos capacités actuelles de production annuelle. C’est pourquoi il est capital d’investir massivement dès maintenant pour avoir une chance d’être prêts en 2050, affirme Veronica Bermudez Benito.

Piste numéro 2 : miser sur la complémentarité des énergies renouvelables... et la capture du CO2

Le solaire et l’éolien, s’ils sont amenés à jouer un rôle de premier plan, ne constituent pas les seules sources d’énergie renouvelable. Citons également l’hydraulique, la géothermie, la biomasse, ou encore l’énergie marémotrice. Elles disposent toutes d’avantages et d’inconvénients qu’il convient d’optimiser pour aboutir au mix énergétique le plus performant et respectueux possible. La géothermie, par exemple, constitue une source d’énergie fiable et continue, mais requiert des infrastructures à grande échelle et n’est pas idéale en zone sismique, tandis que l’énergie marémotrice n’est par définition possible à mettre en place que sur les côtes.

Quant à l’éolien, il est important de le développer à la fois sur terre et en mer, selon Christian de Perthuis. La France a un retard important sur l’éolien en mer, qui permet de capter l’énergie de vents plus réguliers et ne pose pas les problèmes d’intégration au paysage comme sur terre. Nous n’avons pas un seul parc opérationnel, et dans le premier parc que nous sommes en train de construire, une seule turbine est installée... Le Royaume-Uni, de son côté, produit déjà un tiers de son électricité grâce à l’éolien en mer.

Pour l’économiste, l’hydrogène vert constitue également un vecteur d’énergie non carboné à fort potentiel, et un complément idéal aux énergies renouvelables.

Malgré les progrès accomplis dans les batteries, on n’a pas encore réglé le problème de la variabilité, qui fait que les éoliennes cessent par exemple de générer de l’énergie lorsqu’il n’y a pas de vent ou que le solaire fournit bien plus d’énergie en été sous nos climats. Et en particulier de la variabilité saisonnière (on peut produire beaucoup plus en certaines saisons). L’hydrogène vert constitue à cet égard une façon intéressante de faciliter l’intégration de nouvelles sources renouvelables pour les systèmes électriques, en constituant une voie de stockage massive intersaisonnière : l’excédent d’énergies renouvelables produit en été peut-être converti par électrolyse en hydrogène, qui peut ensuite être facilement stocké et utilisé en hiver.

Tout cela vaut naturellement à condition que cet hydrogène soit produit de manière non carbonée. Aujourd’hui, 95% de l’hydrogène produit dans le monde est malheureusement généré à partir d’hydrocarbures, rappelle l’économiste. Pour produire de l’hydrogène vert, il existe deux options. L’électrolyse, d’une part, qui s’appuie sur de l’électricité verte, et constitue le moyen privilégié par la plupart des entreprises qui se lancent aujourd’hui sur ce marché porteur. La thermolyse, d’autre part, qui s’appuie sur la biomasse, piste également explorée, quoique dans une moindre mesure.

Les technologies de capture du CO2, si elles ne peuvent naturellement résoudre à elles seules la question, ont également leur rôle à jouer, selon Veronica Bermudez Benito. Il restera toujours des parts de l’économie que nous ne parviendrons pas à électrifier, comme l’aviation et l’industrie lourde. En outre, l’énergie ne constitue que 75% de nos émissions de CO2 : le reste est causé par d’autres secteurs. Enfin, réduire nos émissions ne suffit pas : il nous faut également éliminer une partie du CO2 que nous avons déjà rejeté dans l’atmosphère, si l’on veut avoir une chance de limiter le réchauffement climatique. C’est pourquoi je pense qu’il est nécessaire de développer les technologies de capture du CO2. Nous avons aujourd’hui la technologie pour le faire, mais elle reste très coûteuse et doit être déployée à grande échelle.

Piste numéro 3 : rendre la grille énergétique plus intelligente

Pour Christian de Perthuis, il est également capital d’investir dès maintenant dans des technologies qui permettront de combiner les différentes énergies renouvelables de manière intelligente dans la grille énergétique. Les réseaux énergétiques ont quelques dizaines d’années de retard sur les réseaux informatiques. Les réseaux électriques, en particulier, sont conçus de manière pyramidale, car notre production est historiquement très centralisée.

Ce modèle n’est selon l’économiste pas du tout adapté à une gestion fine de la demande ni à une production décentralisée. Il faudrait au contraire permettre la création de microréseaux de quartier pour faire de l’optimisation locale et jongler entre les différentes sources décarbonées disponibles, ainsi qu’entre la production centralisée (les macrofermes éoliennes et solaires) et décentralisée (les individus qui installent des panneaux solaires sur leur toit ou une éolienne dans leur jardin).

Grâce à l’Internet des objets, il va également devenir possible de mieux gérer la consommation par rapport à la production. On pourra par exemple déterminer qu’à tel moment, les ménages doivent réduire leur consommation énergétique, car la production d’énergie est plus faible du fait des variations saisonnières. Ou encore d’obtenir des ordinateurs ayant en mémoire le profil de chaque consommateur, pour ajuster automatiquement la consommation en faisant en sorte qu’on ait finalement besoin de moins de puissance électrique à l’heure de pointe.

Pour Veronica Bermudez Benito, il est également nécessaire d’équiper les foyers de systèmes de gestion automatisés, toujours dans cette optique de mieux faire correspondre le moment auquel l’énergie est produite et celui auquel elle est consommée. Par exemple, si la journée est fortement ensoleillée et que les batteries de ma maison sont pleines grâce à mes panneaux solaires installés sur le toit, ce type de dispositif peut déclencher automatiquement la machine à laver ou le lave-vaisselle en mon absence, afin d’éviter que ce surplus d’énergie soit gaspillé.

Enfin, en plus de suivre ces différentes pistes, il sera également nécessaire de réduire notre consommation énergétique, car, comme le rappelle la chercheuse, l’énergie la plus économe en CO2 est celle qu’on ne consomme pas.

Si ces trois hypothèses peuvent tracer le chemin vers un avenir décarboné, celui-ci sera malgré tout semé d’embûches, avec notamment la difficulté qui va consister à maintenir notre production d’énergie tout en la décarbonant. Un défi qui a notamment suscité d’âpres débats autour de la future place du nucléaire au sein de notre mix énergétique durant la dernière campagne présidentielle.